Genèse

Luciano (1935-2007) a grandi dans une famille modeste de Modène en Italie septentrionale. Son père, Fernando Pavarotti, était un boulanger chanteur, et sa mère, Adèle Venturi, était employée dans une fabrique de cigares. Seul garçon dans une maison de femme

Sans rien perdre de son talent ni tomber dans le style bal populaire, il s’attachait à démocratiser l’art lyrique pour, selon ses dires, « donner à l’humanité quelque chose de beau. » Si Pavarotti se révéla débonnaire et peu élitiste, il n’en avait pas moins une voix d’exception. « Il n’y a pas de petite ni de grande musique, il y a juste la bonne et la mauvaise. » Pavarotti ne s’est pas cantonné au Bel Canto, même si ce fut son répertoire fondamental et d’avoir, il a aussi chanté les plus belles chansons d’amour.

Lors d’interviews à la télévision française, il affirme qu’il est très difficile de poser sa voix comme un instrument, pour servir la musique. La journaliste lui demande alors ce qu’il fait qu’il est tant aimé par le public français et suggère une réponse : « votre gentillesse peut-être… » A la question « quel est le pays où vous vous sentez le mieux » il répond : « je me sens bien partout dans le monde. »

Beaucoup se sont pourtant gaussés du grand ténor. Il ne sait pas lire une partition, annule tous ses concerts, est capricieux, ne voyage pas sans ses cuisiniers. Dans Le Roi et moi, livre au vitriol d’Herbert Breslin, celui qui fut le manager de Pavarotti pendant 36 ans allait jusqu’à dire de son ancien patron qu’il avait « quelque chose d’un guignol ». Certes, Pavarotti n’était pas musicien. Il le disait lui-même : « apprendre la musique en lisant des ouvrages s’y rapportant est comme faire l’amour par courrier. » C’est vrai, faire des duos avec les Spice Girls, Ricky Martin ou Boyzone n’améliorait que très moyennement son image. Mais Pavarotti permit au chant lyrique de rester dans les charts. Comme l’a dit de façon plus poétique le grand chef d’orchestre Carlos Kleiber : « Quand Luciano Pavarotti chante, le soleil se lève sur le monde. »

Devise (j’aide donc je suis)

Pavarotti est un séducteur né, il s’exclame : « Plaire au public, c’est ma vie, le centre de mon être. Il est même difficile dans un livre de décrire cette sensation.» Il décrit comme très douloureux les moments difficiles de sa carrière, notamment lorsqu’il s’est fait huer à la Scala en 1993, pour avoir raté quelques notes. Mais derrière ce besoin très fort de plaire, Pavarotti portait autre chose : il considérait la musique comme un moyen de créer du lien. Quand il compare l’opéra et les concerts, voici ce qu’il dit : « Même si j’aime le travail collectif sur une scène d’opéra, donner un concert procure une excitation différente. Ce n’est pas seulement une question d’ego. Sur une scène de concert, avec uniquement un piano, ou même un orchestre, on se sent beaucoup plus proche du public. […] Alors qu’en concert, l’artiste communique directement avec le public. j’aime beaucoup cette sensation de contact immédiat. »

La vision de Pavarotti, c’était le chant comme moyen de partage. Après sa mort en 2007, en son hommage, Eve Ruggiéri admiratrice du grand homme, explique qu’il faisait vivre une transfusion d’émotion à son public, aussi bien dans la joie que dans la nostalgie. Il voulait aider les autres : « Comme le rappelle souvent Roberto Alagna qui bénéficia du soutien de son illustre prédécesseur, Luciano Pavarotti aimait faire profiter de son expérience les artistes en début de carrière ». « Il leur disait toujours, confirme Nicoletta Mantovani, qu’il était d’accord pour les conseiller et, même, juger leur prestation. Mais que, in fine, chacun devait apprendre à s’écouter pour trouver en lui-même la vérité de sa voix. Un paradoxe lorsque l’on sait que lui détestait entendre ses propres disques… »

Orientation (aide, soutien, amour)

« En tant qu’artiste et chanteur, je tiens d’abord à rendre les gens heureux. Souvent des gens m’écrivent pour me dire qu’ils étaient affreusement déprimés, malheureux, voire suicidaires, mais qu’après m’avoir entendu chanter à la télévision, ils allaient mieux. Pendant quelques minutes peut-être, la vie était redevenue belle. Entendre ça pour moi ,c’est merveilleux. Être capable d’aider, fut-ce un peu, des inconnus dans uns mauvaise passe ou même désespérés, c’est fantastique. »

Au début des années 1980, il créa ‘The Pavarotti International Voice Competition’, sorte de ‘Popstar‘ sauce opéra avant l’heure. Roberto Alagna sera l’un des premiers vainqueurs du concours. Aider les autres grâce à la chanson revient comme une obsession chez Pavarotti : « J’adore vraiment les gens », dit-il. De 1992 à 2002, il organisa des concerts au profit du Guatemala, du Kosovo, du Tibet, du Liberia, de l’Irak… Des stars de la pop se joignirent à lui pour ces manifestations intitulées ‘Pavarotti and Friends‘. Une initiative qui lui vaudra d’être qualifié de « vrai ami de l’ONU » par le secrétaire général des Nations unies de l’époque, Ban Ki-moon.

Dans sa biographie, Pavarotti de vive voix, les exemples sont nombreux où Luciano se prend de pitié pour telle ou telle personne qu’elle soit assistante, chanteur, musicien… Peu importe, l’impression qu’il donne est d’être quelqu’un d’optimiste, d’extrêmement généreux et de soucieux du bien être des autres. Voici quelques anecdotes qui illustrent sa grande empathie et son côté nourricier surdéveloppé :

– lors d’un concert à Buenos Aires en Argentine, Pavarotti s’est enquis de la santé de sa soprano Kallen Esperian qui malgré sa grippe avait très bien chanté. La sachant seule, le soir, pour la réconforter, il commanda à dîner pour 4, invita 3 de ses amis et fit servir le diner à Kallen dans sa chambre !

– en Chine, il a assisté à un opéra local, après avoir plus ou moins feint d’apprécier, il a voulu apprendre à chanter comme les chinois, essayer leurs costumes, leurs maquillages… ! Cela a duré 4 heures où Luciano s’est intéressé  à eux gratuitement, par sympathie.

– lors d’un opéra qui finalement eut lieu dans une Eglise de Philadelphia aux USA (au lieu de la salle prévue à cet effet),

Compulsion (solitude, ses propres besoins)

« J’adore le téléphone, je l’avoue. L’été à Pesaro, je reste en contact avec tous mes amis dans le monde entier. » A propos de Nico­letta sa seconde femme, il révé­lait : « Elle m’a appris à me sentir aimé pour moi-même. Je ne suis bien dans ma peau qu’en sa présen­ce… C’est inex­pli­cable. » En guise de confirmation de son profil, il confesse dans une interview alors qu’il séjourne dans les Caraïbes pour 6 semaines : « j’ai réalisé que prendre du temps pour soi n’était pas une mauvaise chose ». A chaque fois que le journaliste américain pose une question personnelle sur comment il se sent, s’il est heureux etc. C’est comme si Pavarotti fuyait et commence sa réponse par « With all my friends… » ; autant dire qu’il n’aimait pas la solitude.

Lors de ses tournées multiples dans le monde entier, il veillait toujours à être entouré et raffolait offrir un repas à son équipe. Il aimait la convivialité et la compagnie.

Mécanisme de défense (répression)

Dans la biographie écrite avec son ami William Wright, Luciano raconte que les premières journées avec sa secrétaire nouvellement recrutée, Giovanna Cavaliere, furent un cauchemar. Elle avait commandé un poulet immangeable et un des seuls légumes qu’il n’aimait pas (des zucchini). Voilà ce qu’il écrit : «Quand on embauche une secrétaire, on est super-critique de tout ce qu’elle fait, et j’ai commencé à m’inquiéter. » Et aussitôt, il précise qu’en fait par la suite elle s’est révélée merveilleuse. Mais sur le coup, il ne lui a rien dit… Et plusieurs fois dans son livre Pavarotti n’exprime pas son ressenti aux autres, les excuse, a pitié, s’occupe de leurs besoins etc. Il fait bien de la répression émotionnelle ! Il parle de lui en ces termes : « Si enragé que je sois contre quiconque, cela s’arrête très vite. Le lendemain, quoi que ce puisse être, c’est fini, tout a disparu. Nicoletta me dit que c’est même trop. Elle s’énerve quand elle me voit aimable avec quelqu’un qui m’ a fait du tort, à son avis. » 

Autre exemple de répression, lorsqu’en 194, le Brésil a battu l’Italie en finale de la coupe du Monde de foot aux Etats-Unis, Pavarotti était fort déçu. Mais il dit à Nicoletta que c’était aussi bien que le Brésil ait gagné. Il exprima à ses amis plus tard qu’il avait très bien pris la défaite de l’Italie, alors Nioleta fit cette remarque : «  Cela ne t’a peut-être pas bouleversé, Luciano, mais pendant huit heures, jusqu’à ce qu’on quitte Los Angeles en avion, tu n’as pas dit un mot. » 

Triade infernale (jalousie, orgueil, faux amour et flatterie)

Quand on lit sa biographie, l’impression finale est mitigée : on y découvre un grand personnage, avec de véritables qualités humaines. Et puis il y a sa tendance à tout ramener à lui, à se mettre au centre de tout, à se sur-préoccuper de sa personne, de sa voix, sa focalisation sur la nourriture etc. Il raconte comment il aide beaucoup les autres ; mais n’est-ce pas pour être vu, reconnu, pour compter dans leur vie ? Ce n’est pas si gratuit que cela y paraît. Dans ses récits, il donne l’impression que tout se passait parfaitement avec les deux autres ténors Placingo Domingo et José Carreras lors de leurs concerts à trois. Tout le monde n’est pas de cet avis. Cela ne devait être si simple de gérer ses égos et pour Luciano de gérer sa jalousie. Un épisode anodin est rapporté par lui avec l’un de ses amis, Andrea Griminelli, qui joue merveilleusement avec une flûte « en or ». Un jour, Luciano cache le précieux instrument et lui fait croire qu’il a été volé. Andréa est alors devenu fou. Gildo, ami de Pavarotti, parle d’ailleurs d’un côté méchant chez Luciano. Ne serait-ce pas plutôt de la jalousie ?

Pavarotti est souvent flatteur, notamment avec ses amis. Il dit d’ailleurs que s’il a de si bons amis, « c’est qu’il a une bonne attitude face aux gens. « Je ne les juge pas, et s’ils font quelque chose de mal, je suppose qu’ils ont une bonne raison. » Cela relève aussi de sa magnanimité, mais il reste très dépendant du regard des autres. « Je l’ai rarement vu se fâcher, poursuit Nicoletta Mantovani, sinon face à un collègue ou à un élève qui baissait les bras. “Je n’y arriverai jamais”, était une phrase qu’il ne pouvait pas supporter, tant il était lui-même confiant, travailleur et perfectionniste. »

Des exemples multiples montrent la tendance envahissante et intrusive de la star. Il rapporte lui-même cet épisode lorsqu’un jour il dine avec Lady Diana au restaurant. Elle choisit des crevettes comme plat, et Luciano, toujours très gourmand, lorgnait sur son assiette. Une première fois, il lui fit remarquer que les crevettes devaient être bonnes. Lady Di répondit poliment par l’affirmative, sans plus. Luciano le redit une seconde fois et la 3° fois il craqua et s’exprima avec un sans-gêne choquant pour une éducation toute britannique : « Ecoutez j’ai essayé deux fois sans succès. Maintenant je vous le demande sans détour. Puis-je avoir de vos crevettes ? ». Très gênée, Lady Di s’excusa de ne pas avoir compris plus tôt…

Non-verbal

Bonhomme, généreux, expansif, joyeux, optimiste…

Hiérarchie des centres (Emotionnel Instinctif Mental – EIM)

Jusque là nous avons décrit cet artiste de profil DEUX : aidant, mettant en avant le lien, aimant les honneurs et se faire traiter comme un roi. Pour trouver la variante α, qui place le centre instinctif en second, voici différentes pistes :

1- Un première indication nous vient de ses débuts. Comme son père, lui-même ténor, Pavarotti apprend le chant et la musique de manière instinctive. Il affirmait : « Avec moi, il a vu son propre rêve se concrétiser, et il en a même été un peu jaloux. Il pensait que sa voix était plus belle que la mienne ! Je n’ai eu ses félicitations qu’après treize ans de carrière. » Dans le même sens, petit, il a joué au football, au tennis et s’est passionné pour la course automobile. Des activités très instinctives. Il témoigne de sa rencontre avec l’illustre coureur automobile Fangio, lors d’un séjour à Buenos Aires… « J’ai été tellement ému que j’ai à peine pu lui parler ». C’est quand même l’émotion qui domine !

2- Son amour de la nourriture. Luciano Pavarotti était réputé pour être un très bon cuisinier et lorsqu’on lui parle de nourriture, il dit qu’il doit tout cela à son enfance et notamment à sa mère. Aussi, pour l’anecdote, lorsqu’il se rendait dans des hôtels, il demandait à remballer la nourriture qu’il n’avait pas consommée. Quand on le lui rappelait, il qualifiait cette réaction « d’habitude de pauvres ». Son agent pendant 36 ans Hebert Breslin rapporte : « son sujet de prédilection, c’est à dire le boire et le manger. Luciano ne pense qu’à ça, tout le temps. Ce n’est pas juste qu’il aime manger : il aime sentir les aliments, les toucher, préparer les repas, penser à la nourriture, en parler. »

3- Troisième piste, sa corpulence ; il oscillera toute sa vie entre 90 et 120 kgs. Mais plus que cela, à l’occasion d’une polémique sur sa capacité à lire la musique, le ténor italien rend hommage avec honnêteté et générosité à son confrère : « C’est vrai, je ne suis pas musicien. Je ne vais pas en profondeur. La partition est une chose, le chant en est une autre. Ce qu’il faut, c’est avoir la musique en tête et la chanter avec le corps. Autrement ce n’est que du solfège chanté. Je ne suis pas un musicien comme Placido Domingo qui peut même diriger un orchestre. » Chanter avec le corps ! Plus largement son sens des réalités corrobore son côté instinctif : « S’il n’avait pas été chanteur, Luciano aurait été architecte, assure Nicoletta Mantovani, sa seconde épouse. Il a tout dessiné de cette maison qui était véritablement son petit coin de paradis. Il a choisi les volumes, les multiples ouvertures sur le jardin et la campagne environnante et, bien sûr, la décoration. Il voulait pouvoir y accueillir chaleureusement ses amis et les jeunes voix qu’il conseillait. »

4- Sa détermination, une force de son caractère : il est décrit parfois comme un homme décidé et fonceur. Comme il visait un ultime but , celui de rendre l’opéra accessible à tous, il s’est lancé dans des sentiers inconnus pour lui.« Pavarotti recherche les défis. son intrépidité l’a même poussé à chanter dans une comédie sentimentale hollywoodienne alors qu’il n’avait jamais été aussi gros, à donner un concert à Carnegie Hall avec des stars du rock, et à monter un grand opéra, La Bohème, en Chine. » Il fera des émissions de télévision dans lesquelles la caméra servira d’instrument pour atteindre son but. Il usera de tous les atouts de sa séduction et de sa gentillesse naturelle pour y parvenir.

5- Enfin sa tendance à la mélancolie (désintégration en QUATRE), comme rapporté dans cet épisode du 22 décembre 1975. Pavarotti est dans le vol qui le ramène de New York vers Milan. Depuis un an, le bonheur s’est enfui. La notoriété, la musique, sa famille – il a trois filles – plus rien ne compense un mal être dévorant. « J’étais malade. Gravement atteint de mélancolie. Un dégoût de tout. En un mot : une dépression », expliquera-t-il en1996. De plus, ses allers et venues aux quatre coins du monde l’obligent à beaucoup prendre l’avion dont il a une peur bleue. Ce retour à deux jours de Noël constitue une énième épreuve. Heureusement, le Boeing 707 a entamé la descente. Les passagers n’imaginent pas que, dans le cockpit, les pilotes ignorent combien de mètres les séparent de la terre ferme. La faute au brouillard épais. Soudain, le choc. Tous sont propulsés sur le côté. Dans la panique et les cris, les secousses se multiplient. L’aile droite de l’avion frappe le sol. L’épave poursuit sa course hors de la piste, se casse en deux puis s’arrête. Seuls quelques blessés sont à déplorer. Petit miracle. Et un double pour Pavarotti. Choqué lorsqu’il est pris en charge par les secours, il se rend compte qu’il est guéri de sa dépression.

L’hypothèse d’un DEUX instinctif, appelé variante α (EIM), semble solide.

Sources dont sont extraites les principales citations et anecdotes :